La peinture change dans le temps comme nous changeons. Elle suit notre vie, ses hauts et ses bas. Au travers des sujets et des techniques, elle évolue aussi, elle s'adapte aux évènements...
Voici un parcours.
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Débuts
Je ne sais plus exactement à quel âge j'ai commencé à peindre.
Il y a eu les dessins d'enfant et puis très vite la Peinture, vers dix ans, la gouache. C’était une marine avec les falaises rouges de la Méditerranée, souvenir de vacances à Cassis...
Très tôt la nature m'a paru essentielle dans ma vie. J'ai en mémoire une phrase de La Roche Foucault qu'un professeur nous avait sitée : "la nature est plus audacieuse dans sa réalité que l'imagination de l'homme dans sa fantaisie".
Ces années-là, la peinture était synonyme d'isolement et de liberté, je vivais mon adolescence en peignant dans ma chambre. Une fois la porte fermée, j'échappais aux pressions, aux influences, j'étais moi-même. Je choisissais mon sujet d'étude, ma technique et j'étais mon propre maître. A ce jour, je pense qu'il est nécessaire pour un enfant d'avoir son univers et qu'il faut une place pour le rêve. Cela favorise l'épanouissement de la personnalité.
Cependant, il était difficile de tout ranger chaque soir pour tout ressortir le lendemain. Cette contrainte me perturbait, j'aurais voulu garder visible mon travail en cours, disponible à tout moment au gré de l'inspiration. Ranger c'était remettre en état la pièce, cacher ce que j'aimais... En 1965, l'éducation bourgeoise ne laissait guère de place à l'Art. Tout était organisé pour suivre le sillon tracé, il ne fallait pas prendre d'initiatives dans quelque domaine que ce soit. J'étais formatée, j'apprenais à obéir plus qu'à penser, à me soumettre plus qu'à me battre.
Ces années-là, je m'endormais avec un prince charmant dans des histoires rocambolesques reprises chaque soir. J'avais 13 ans.
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La découverte
En seconde dans mon lycée, l'enseignement du dessin était une option, j'ai commencé par deux heures par semaine puis très vite quatre heures jusqu à la terminale.
Quel plaisir d'enfiler la grande blouse blanche et d'évoluer dans les parfums d'huile de lin et d'essence térébenthine. Des moments merveilleux, inoubliables où l'on sait pourquoi l'on existe. J'étais dans mon élément, je me sentais forte et capable de tout entreprendre. Je souviens très bien de cette demoiselle au chignon serré qui me donnait les premières bases. L'étude de l'Histoire de l'Art et des grands maîtres de la peinture me comblèrent. Le premier travail et ma première oeuvre sérieuse fut une reproduction du "bouquet de fleurs" de Chardin. Il avait fallu confectionner la toile et la tendre sur châssis. Sans même savoir si j'en étais capable, je m'attaquais à cette peinture avec une grande exaltation. Toute ma vie je peindrais, c'était sûr. J'avais 15 ans.
Les heures passaient à une allure vertigineuse et ces débuts passionnants furent à la hauteur de mon attente. La demoiselle m'a beaucoup appris, aujourd'hui je sais qu'elle fut sans doute la première personne "tuteur" que j'ai rencontrée. Elle me donnait la reconnaissance de ma passion, me confirmait que l'Art était noble et digne d'intérêt, que je n'étais pas marginale, d'ailleurs c'était dans le cadre de l'enseignement.
J'étais dans une bulle, protégée de la réalité. Tout était harmonie. Il était alors confortable d'avoir cette soupape et la possibilité de croire à un monde sans violence.
Cette impression de passer ainsi d'un monde à un autre avec des valeurs différentes, je la ressens toujours et c'est sans doute là que réside une part de la thérapie de l'Art.
Trois ans plus tard, c'était l'explosion d'une jeunesse qui veut exister et s'exprimer. Mai 1968, ébranla pour toujours ce monde de rigueur et les murs entre les générations vibrèrent et se fissurèrent.
La musique changeait et rayonnait d'énergie et de rythmes nouveaux. Bienvenus les Beatles ! Toute cette audace me confortait dans ma passion, je me sentais portée par le courant, Une lueur brillait dans le tunnel.
- Désillusion
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Il ne m'était pas venu un seul instant à l'esprit pendant ces trois années avant le bac et avec tout l'investissement dans mes cours que je ne pourrais pas "faire" les Beaux-Arts. Ce bac que j'avais eu avec 16/20 en dessin...
Les beaux-Arts pour moi, c'était continuer officiellement la peinture, me réaliser enfin dans ce que j'aimais par dessus tout et exploiter une sensibilité. J'imaginais des discussions passionnées, des métiers merveilleux comme restaurateur d'oeuvres d'Art, expert, galeriste, commissaire priseur, artiste ou simplement enseignant.
Il restait hélas une mauvaise idée de 68 dans l'esprit de certains parents... C'était obligatoirement devenir hippie, voire droguée ou finir dans la rue à "dessiner sur les trottoirs". Ce pauvre trottoir, l'incarnation du rejet de la société. Si bas qu'on ne peut s'en relever et surtout plus d'avenir et le bon mari. La réponse fut cinglante, irrévocable et non négociable... Ah ces profs ! ces gauchistes qui donnent de mauvaises idées aux enfants. Que faire contre le trottoir et la gauche réunis ?
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Un peu perdue
Ce fut le vide, fini mes chers points de repères. L'avenir était sombre, sûrement la plus grande déception de ma vie parce qu'à 18 ans on y croit et que je savais que j'avais le potentiel pour réussir. Je me suis sentie cassée et humiliée. Cassée du non respect de mon choix et du manque de confiance et humiliée d'être jugée incapable. Et cette majorité à 21 ans qui assujettit un "déjà adulte" à la volonté des parents.
Inscrite en faculté de biologie- géologie parce qu'on y dessine et étudie la nature, je ne me suis pas présentée en deuxième année, je n'avais plus de motivation et les cours d'Art me manquaient. Je ne savais pas où j'allais.
En 1971, c'était l'année du campus, des copains et de la musique Pop.
Alors naquit "le bar de C". C'est une peinture au couteau. Elle est pleine de symboles affectifs, de ressenti et d'émotions comme un cahier à secrets. J'étais encore dans l'élan des cours reçus et la créativité commençait à se manifester. J'avais des idées pour ce bar d'étudiants où l'on jouait au tarot dans la fumée et la musique forte, au milieu des canettes de bière et des tasses à café. J'avais en tête un air de G. Alwrigt et dans le coeur un beau garçon brun qui chantait "Suzanne" en s'accompagnant à la guitare.
1971 : Côté sentimental, mon coeur balançait entre Bernard le romantique, guitariste, super doué en chimie et un inconnu que j'apercevais régulièrement dans les bousculades de l'escalier du resto U à la Doua. François était en deuxième année de droit, on se souriait tous les jours sans se parler. Ce n'est qu'après mon accident de voiture en 1972 et une longue absence qui interrompit des études d'infirmière, que l'on a fait connaissance, comme si l'on s'était attendu tout ce temps. François, mon premier Amour.
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Le destin
Avec l'école d'infirmière ce fut le mal-être complet. Écoeurée par la froideur et la suffisance des enseignants qui nous apprenaient qu'un malade n'est pas un être comme les autres. Je compris qu'il n'y avait pas de place pour les sentiments et que la hiérarchie et la mission gratifiante occultaient totalement l'aide à la personne, l'assistance à la souffrance. De quoi réfléchir... En plus de la blouse blanche, il fallait endosser une carapace qui rend invulnérable et protège du ressenti. Moi qui au contraire cherchais à être vraie pour me construire avec des valeurs fortes !
En peinture, j'avais du mal à avancer et retombais dans la copie et perdais mes acquis. Ce fut une série de copies de Breughel, Courbet, Bracque (ci-contre)puis des natures mortes... L'enseignement de la demoiselle au chignon me manquait.
L'accident de voiture fût grave et mit fin à ces études qui ne me permettaient pas de me réaliser. J'avais 20 ans.
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Prise de conscience
Je continuais cependant à peindre, cela m'équilibrait et mettait de la lumière dans ma vie. Car sans diplôme, les réalités du monde du travail au bas de l'échelle sociale constituaient une transition radicale avec la vie d'étudiante, la philo et les espoirs de jeunesse.
La difficulté des relations humaines dans le milieu du travail me désespéraient mais un deuxième tuteur se présenta. Didier m'a ouvert les yeux sur beaucoup d'horizons. J'appris qu'il fallait désamorcer les conflits, utiliser l'énergie positive que l'on accumule. Un grand voyage d'un mois en Asie m'aida à décoller, découvrir une autre culture, le bouddhisme et la relativité de la vie. Ce qui permit à ma peinture de rebondir et à moi de beaucoup apprendre.
Il faut laisser du temps au temps...
Un an plus tard, je me pris d'intérêt pour la photo, les couleurs, les différents plans de vue et la profondeur de champ. Je peignais à nouveau même si la découverte personnelle est infiniment plus lente et aléatoire que celle dispensée par des cours.
Avec ces nouvelles impulsions et une formation de secrétariat compta, je rentrais en 1982 dans la fonction publique. Ce ne fût pas facile du tout, je n'étais pas vraiment prête à rentrer dans le moule de fonctionnaire mais il y avait d'autres avantages non négligeables. Je ne me suis jamais totalement adaptée à ce fonctionnement hiérarchisé, c'est un monde à part, anesthésiant. Comme enfant dans ma chambre, je retrouvais mes deux mondes alternativement et j'avais une sécurité qui me permettait de peindre.
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Maturité
Après la naissance de ma fille en 1986, j'ai découvert la région viticole du Beaujolais et ce fût une renaissance de ma peinture.
A cette période-là, des sorties ornithologiques me firent essayer l'aquarelle.
Succession de sujets typiques, les caves où s'exprimait naturellement le clair-obscur. Ce rayon de lumière qui traverse le soupirail et s'écrase sur un tonneau poussiéreux dans l'obscurité et l'humidité propices aux bons crus. L'alambic où le saucisson cuit dans le gène de raisin délie les langues et les vapeurs d'alcool font tourner les têtes.Les dégustations où la porte ouverte sur l'extérieur exprime pour le peintre bien plus que l'accueil chaleureux et incontestable des viticulteurs, l'entrée de la lumière nécessaire à la vue et à la vie, celle qui enveloppe les objets et leur donne leur vrai sens. J'acquière une nouvelle palette de couleurs.
Le Beaujolais est une région pleine de charmes avec des découvertes nouvelles et du vécu.
Beaucoup d'expositions et de ventes de toiles ont enfin permis une reconnaissance.
Certaines devinrent des étiquettes de crus renommés.
Avec "les verres de gnole", il faut voir le milieu assez fermé des hommes. Ils se retrouvent amicalement dans leurs caves pour discuter travail, boire un verre convivial et plaisanter avec un humour quelques fois grivois. La femme n'y a pas sa place. L'ombre des bouteilles se projettent sur le mur en silhouettes masculines. Une bouteille est tombée, la noix reste ouverte à la dégustation...
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les voyages
J'aimais déjà Gauguin avant de voir la polynésie mais après un séjour à Punauia à Tahiti, je compris véritablement sa peinture et son "exil". Un homme aventurier, un peintre qui utilise les couleurs complémentaires et peint les vahinées nues au risque de déplaire à la société métropolitaine. "Tous mes doutes sont dissipés, je suis et resterais ce sauvage". Il cache des toupapaous (esprits) dans ses toiles, peint la sensualité et le tabou de la culture Maori transmis par les sorciers de l'île. Loin "la belle Angèle", la rougeaude aux yeux bleus dépourvue de mystère et de séduction : "les belles couleurs, sans qu'on s'en doute, existent et se devinent derrière le voile que la pudeur a tiré".
A nouveau des couleurs nouvelles arrivent sur ma palette, le rouge des hibiscus, le bleu du lagon et le vert des bananiers. Des couleurs pures et lumineuses bien rares en métropole...
La Bretagne, pays de contes et de légendes où les fées et les lutins se partagent les landes du Finistère et les nuits de la forêt de Brocéliande. Le pays de l'Ancou, du poète Xavier Grall, une terre mystérieuse et forte, une terre de grande marée où surgissent des calvaires, des fontaines miraculeuses et des processions dans les brumes mouvantes des Monts d'Arrée.
Cimetières de bateaux du Morbihan, Chapelle de St They sur la baie des trépassés, St Cado..."Ma bro... tu es ma drogue et ma fatalité, ma liberté et mon souffle" (les vents m'ont dit- X.Grall).
La Corse mérite bien son nom d'Ile de Beauté et de lumières, couleurs et contrastes, paysages sauvages et puissants. Golfes profonds, falaises de craie, arrêtes déchiquetées, une certaine démesure dans cette île qui unie la nature forte de la Bretagne à la lumière de Polynésie.
Pour le ciel de la Corse, je pose le pinceau et utilise des cartes rigides pour lisser des fonds laqués et uniformes...
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Une pause
En 1990, des portraits de ma fille, des natures mortes, des chats, des paysages traduisent une période sans turbulences. Je vis sur mes réserves et cherche à les exploiter. Des expositions dans des groupements artistiques régionaux ou dans des restaurants réputés se succèdent. Les articles de presse me donnent de l'assurance et je vends mes toiles.
Les couleurs de Polynésie sont acquises, je suis quelques temps des cours de nu.
Étrangement, comme la Tahitienne, je constate que je peins des femmes-tronc aux seins lourds... pourquoi ? je ne sais pas.
Je commence à me lasser du figuratif.
- Le virage
Je cherche d'autres techniques et essaie d'épurer les sujets en abandonnant les détails et en donnant priorité à la couleur. Je cherche un sujet qui implique pour moi une sorte de révolte comme ci-dessous la pollution et l'avenir de la planète...
Un changement s'amorce alors qui sera un aboutissement avec "2050" ci-dessus.
Puis "le divorce" où la séparation prend l'aspect d'une cicatrice boursouflée qui s'estampe en montant vers la lumière.
ou "le regard des autres" qui suivra le divorce.
A bien regarder aujourd'hui, je vois une silhouette féminine claire qui tourne le dos à un couple entouré de deux personnes (la famille ?) Elle est seule face à une multitude de personnes aux profils sombres qui la regardent (la société ?). Tous ces détails n'ont pas été voulus, j'ai peint très vite en deux heures ce que je ressentais, sans réfléchir. Le résultat me surprend.
Question : l'abstrait semble arriver à propos, faut-il avoir de la souffrance pour "sortir ainsi ses tripes" en peinture ? Ou est-ce l'aboutissement d'un travail et d'un fonctionnement ?
- 2009 : Après l'étude de peintres comme Picasso, la réponse est non.
Simplement une façon de présenter les choses selon sa personnalité et sa recherche personnelle. Donc fonctionnement et travail : deux paramètres qui peuvent évoluer, progresser selon des évènements, des rencontres où de nouvelles découvertes dans la technique...
Exemple d'un début, avec l'étude du chef-d'oeuvre de Courbet : "l'origine du monde":
puis d'autres études personnelles sur le thème de l'alcool, l'argent ou le jeu.
L'interprétation est en fait une forme de liberté. Dans ces deux thèmes, il y a aussi la relativité et la légèreté du sujet même si l'alcool et l'argent sont des sujets graves en soi. On y trouve l'allégorie du temps qui passe dans le mouvement des objets... Chose qui se matérialise dans le figuratif par une code comme une bougie, un sablier...
Le champ d'expression personnelle est plus grand dans l'interprétation que dans sa représentation figurative.
Plusieurs messages peuvent passer, ils sont suggérés par une présentation particulière et une technique appropriée qu'il serait difficile d'évoquer dans un cadre purement limité à une reproduction de la réalité, si vraie et symbolique qu'elle soit.
Souvenez-vous des "verres de gnole" et de la "lanterne" des années 1980.
Mais une forme de figuratif n'est pas exclue lorsque le sujet s'y prête ou que la beauté d'un paysage le nécessite : atmosphères, détails pittoresques.
le Vissou sous la pluie (34) Les Sanguinaires - Corse
Montagnac (34) Caux (34) Caux (34)
2013 : Nous sommes en 2013, je travaille pour une série de "portions de nus avec un plus" pour une expo à Agde en Juillet 2014 sur le thème "secrets de femmes" voici :
voir aussi http://peinturesmatray.overblog.com
2014 : une série pour 2015 "Etats d'âme de la mer" que trois pour l'instant...
la montée des eaux, la mer des naugfrages et le lagon
une série sur le mouvement d'après la reprise d'une technique du "bar du C" de 1972 : l'argent, l'origine du monde pour l'instant. J'aime bien cet effet, je vais l'approfondir encore pour d'autres thèmes. à suivre