"Un castrum de l'an mil" ou l'histoire de la forteresse de Maders à Fontès (34)
le livre est paru en 2015, voir le lien http://portesetheurtoirs.overblog.com/2014/03/maders-castrum-abandonne-du-xie-siecle-dans-l-herault.html
Le château de Maders (aujourd'hui Mazers) est situé sur la commune de Fontès dans l'Hérault, l'étymologie de Fontès rappelle en latin et en occitan "font" qui désigne une source, une fontaine. La fontaine de Fontès est toujours réputée et il n'est pas rare d'attendre pour remplir son jerrican à la fontaine du village. Les ruines du château se trouvent sur la D174 entre Neffiès et Fontès.
Fontès est à l'ouest du volcan du Céressou, les ruines de Mazers sont au pied du volcan des Baumes surplombant le ruisseau du même nom qui en descend.
" Mazers s'affirme par les ruines de son château fort, larges remparts, debout sur un mamelon isolé..."
(l'Histoire de Fontès et de ses environs" de l'Abbé Bigot-Valentin)
le volcan des Baumes les ruines
Le château ou plutôt ses ruines, s'élève sur une motte au pied du volcan en pleine campagne dans les vignes. Les ruines et auprès d'elles une croix, sont cachées par des grands arbres et peu visibles de la route, elles se devinent. C'est un lieu calme de garrigue, de vignes, de chênes verts et d'oliviers.
le mur Est
le mur Sud
le mur Ouest le mur Nord
"Le castra de Mazers est mentionné par l'historienne Hélène Débax, comme figurant parmi les douze châteaux (Mourèze, Mazers, Mourcairol, Carous, Roquebrun, Paulhan, le Pouget, Aumelas, Mourèze, Roujan, Vieussan et Abeilhan donnés en gage au comte de Barcelone. Extrait de" la féodalié languedocienne" link
Mazers, Maders ?
Aujourd'hui, si l'on dit Mazers, il n'en a pas toujours été ainsi. Sur la carte de Cassini (établie par César-François Cassini de Thury à partir de 1744 pour Louis XV link), il est écrit MADERS.
Pour l'origine de Mazers, on peut lire dans "Toponymie du pays occitan" (B.Boyrie-Fénié et JJ Fénié) que "macerias" désigne en latin des murs de pierres sèches ou des ruines.
F.R Hamlin, dans son livre ''les noms de lieux du département de l'Hérault" écrit : "du "Castello de Madernis" vers 1059. Maders, 1770-2 (Cassini), prononcer Mazèr. Variante du terme probablement gaulois maderna "siphon" attesté dans une glose de Juvénal (Holder II, c.369). Les graphies jusqu'au 18è s conservent généralement le d intervocalique passé en z dans la prononciation dès le Moyen-Âge"".
Est-ce que l'occitan ne serait pas une raison de ce changement ?
Un peu d'Histoire
Après avoir abrité d'importants établissements gallo-romains comme les Pradesses et Carlencas, Fontès devint site wisigoth link. Sur la plate forme en friche au sud du château, gisent encore quelques fragments de tegulae romaine qui attestent d'un habitat gallo-romain bien avant la présence des wisigoths qui séjournèrent au Vè s dans notre région, avant les Francs et le passage des Arabo-berbères qui séjournèrent 50 ans en Languedoc.
Des archives aujourd'hui disparues furent étudiées par l'Abbé Bigot Valentin qui publia un livre en 1878.
" Fontès avait alors pour étroite ceinture six autres villages ou hameaux, dont quatre eurent le titre de Prieuré, c'étaient : Mazers, Carlencas, La Pradesse, Fitou, Ceilhes et Bardins" et ""L'existence d'un donjon est confirmée dès le Vès. à l'époque de la domination des wisigoths sur la Narbonnaise. Ce vestige a été le témoin de la Croisade contre les Albigeois et le saccage du Languedoc par l'armée des Francs. " Ext. Les mystères de Latude de JL Bessière
Au haut Moyen-âge, il est mentionné une chapelle voire même un Prieuré, un cimetière et quelques habitations autour du château que les habitants abandonnèrent pour se rapprocher de l'actuel village de Fontès et de son château, pendant la guerre de 100 ans et les guerres de religion. Au XIIè et XIIIès, le château de Maders sous domination des comtes de Carcassone-Razès et vicomte de Béziers fait partie du fief de Raymond Roger de Trencavel. Il fut confisqué par Simon de Monfort qui prit titres et biens et les légua à son fils Amaury. Celui-ci ne put le gérer en cette période très agitée et accablé de dettes, il céda le vicomté de Carcassonne et de Béziers en 1224, au Roi de France Louis VIII."C'est ainsi que Mazers, son donjon, le verger de pêchers et le champ d'orge attenants ont été rattachés à la vicomté de Pézenas" Les mystères de Latude.. JL Bessière.
A la fin du moyen-Âge, le hameau est à l'abandon. Au XVIIIès, quelques pans de murs de la chapelle émergeaient encore des broussailles. D'apres les archives "une église paroissiale ayant cloche et fonts baptismaux"
"L'enceinte du village, que des recherches attentives nous ont permis de retrouver, accuse une population de cent âmes au moins" "Sur tous les actes officiels concernant les dépenses du Prieuré Ste Marie de Maders acquittés par son bénéficiaire le Cardinal de Bernis..." Ext. Histoire de Fontès. Abbé Bigot-Valentin.
"Cette église, Ste Marie de Maders dégageait un revenu conséquent. Le bénéficiaire en était le Cardinal de Bernis, évêque d'Albi" Pages d'Histoire de André François.
Sous Louis XV, un personnage s'est illustré qui revendiquait le nom de Jean-Henri Masers de Latude. Il passa 12163 j en prison à la Bastille, Vincennes, Charanton et Bicêtre pour avoir importuné Mme de Pompadour. Il connu le cul de basse-fosse et s'évada trois fois. Son origine n'a jamais été élucidée, fils naturel de Jeanne Aubespri, il a été baptisé à Montagnac le 26 mars 1725.link Voir le livre "les mystère de Latude" de JL Bessière.
En prison, Masers de Latude écrivit ses mémoires avec son sang sur des matériaux de fortune link Il est resté un prisonnier célèbre pour ses évasions. Le comédien Francis Perrin a écrit un roman inspiré de son histoire "l'enfant terrible de la Révolution".
je relève cette mention sur les archives ecclésiastiques en ligne P.205 link
"CAUX : accord sur les dîmes entre Mgr de Bausset,
le chapitre et le prieur de N.-D. de Maders (1766-
1767). Limites des dîmeries- de Caux et de Maders (1764)."
La construction
Trois hauts pans de murs se dressent face au Sud et le littoral méditerranéen. Au nord, seuls de gros soubassements d'environ 1,5m subsistent. Au centre, une basse cour d'environ 600 m2.
Ces murs sont à première vue très colorés, faits de gros blocs blancs et beiges d'origine sédimentaire et de blocs gris et bruns provenant de la lave basaltique des coulées volcaniques. Ils sont constitués de deux hauteurs de pierre remplies de gravas à l'intérieur, caractéristique des châteaux défensifs.
Un peu de géologie
Les matériaux utilisés ont été pris sur place ou à proximité. Ce sont des produits volcaniques du quaternaire et des roches sédimentaires du tertiaire. Entre ces blocs, le ciment est réalisé avec du sable link de rivière et de la chaux (présente à proximité en témoignent les nombreux fours à chaux exploités jusqu'au XVIIIès).
Les roches volcaniques proviennent de l'érosion du cône du volcan des Baumes( 1,5 M d'années) :
- des basaltes massifs de couleur noire, provenant de la coulée de lave. Ils renferment souvent des enclaves de péridotites vertes prélevées par le magma basaltique au manteau lithosphérique (à env.70km de profondeur) lors de sa montée vers la surface.
- des basaltes bulleux ou scoriacé issus du cratère.Bulleux parce que les gaz n'ont pas pu s'échapper lors du refroidissement.
- les tufs de retombées de produits d'explosion qui se trouvent à la base du volcan.
basalte avec péridotite Basalte bulleux Tuf lité
Les roches d'origine sédimentaire sont d'âge miocène moyen (env 14 M d'années)et principalement :
- des grès siliceux à grain fin à ciment calcaire pouvant renfermer des grains de quartz
- des grès conglomératique et des conglomérats à dragées de quartz
- des calcaires coquilliers composés de débris de coquillages (huîtres...) consolidés par un ciment calcaire
Grès siliceux Calcaire coquillier Conglomérat à dragées quartz
une huître fossilisée Ciment avec du sable de rivière Le calage
Des pierres de calage s'observent plus particulièrement sur le pan Est où l'appareillage est moins structuré, dit de type "incertum" à la base et "assisé" au dessus (en lignes parallèles). L'ensemble est plutôt "primitif" et de constater que les basaltes massifs beaucoup plus denses et plus solides que les roches sédimentaires auraient dûs être disposés à la base des murs pour leur donner plus de solidité.Il n'en a rien été, la construction s'est faite au fur-et-à-mesure de la collecte sur les terrains de proximité
Un lien sur les constructions de murs en pierre sèche link
On observe encore ...
La base de l'édifice est presque rectangulaire, seuls trois pans de murs (sud, est et ouest) s'élèvent, du mur nord il ne reste que les fondations. La basse-cour mesure environ 20 m sur 30m, sa longueur est N-S.
Les meurtrières
Sur les pans Nord-est et Sud-ouest se distinguent des meurtrières, de simples fentes verticales dites "archères à étrier" apparues au XIIès, adaptées au tir de flèches peut-être avec arbalète.link
de l'extérieur de l'intérieur
Sur le mur Est, tout en haut, un niveau supérieur en retrait donnant vue sur l'ancienne route de Fontès, un chemin de ronde ou courtine ?
Une courtine et des gargouilles
Au même endroit, de l'autre côté du mur Est, trois gouttières ou gargouilles surplombent le chemin et évacuant l'eau de pluie de ce niveau supérieur. Etait-ce une tour à ciel ouvert ? une courtine ? D'apres les études faites, le château médiéval avait des toits de bois. On distingue le sillon de la gouttière. Des textes anciens attestent d'un donjon à Mazers. La façade intérieure montre une lignée de trous de boulins (5), sûrement un plancher qui correspond à la meurtrière supérieure.
Une gargouille du mur Est Profil des gargouilles et de la courtine
L'Opus spicatum
La façade intérieure sud est couverte de lichens mais elle est la seule a présenter un appareillage en "opus spicatum" ou "épi de blé". Pourquoi ? Esthétique, répartition des forces ... ? ce mur serait plus ancien que les autres d'après un spécialiste.Ce mur sud est le moins protégé naturellement, est-ce que cela a un rapport avec cette construction particulière ? On retrouve des opus "piscatum" cette fois-ci, sur un mur d'enceinte à l'est, sous l'ancienne église.
En effet, ce mur sud à l' intérieur et plus encore à l'extérieur, présente sur plusieurs courtes séquences, une orientation oblique des pierres à 45° environ. La disposition est plus ou moins régulière selon le savoir faire des artisans et la matière première disponible. Ces séquences ne sont cependant pas ici en arête de poissons.
"Cette disposition de pierres utilisée par les romains a été utilisée essentiellement par les Carolingiens et perdure dans l'architecture castrale jusqu'au XIIè s. "
Cette présence marque donc une construction relativement ancienne du Moyen-Âge, fin du premier millénaire-début du deuxième.link.
Escalier et porte
Toujours sur ce mur sud se distingue l'ébauche d'un escalier avec un décallage du mur (escalier ou support de plancher) et une ouverture de porte mais ce n'est pas certain.
les restes d'un escalier La voûte d'une porte Les trous de boulins
Le mur Ouest présente une meurtrière et plusieurs trous de boulins traversants ayant servis à échafauder. Beaucoup de trous de boulins sont observables, traversants et peu de borgnes.
Dans la basse-cour, un trou au sol d'un diamètre d'environ 1m, entouré de pierres: un puits, l'accès à une cave ? des fouilles ?
Les trous de boulin un puits ?
A l'Est, sous le chemin d'accès au château, se trouve un mur de soutènement en pierre sèche (sans ciment). Il présente lui aussi des séquences en opus spicatum et cette fois-ci en arête de poisson ! on dit alors piscatum.
opus spicatum en arrête de poisson la vigne
Est ce que le XXIè s verra Mazers s'effondrer dans l'indifférence malgré son passé ancien ? nous lui souhaitons un mécène, amoureux du patrimoine et souhaitant faire connaître son histoire...
Comme beaucoup d'autres communes de l'Hérault, la vigne est apparue à Fontès entre le 1er et le 2ès et représente ici 95% des cultures. La cave coopérative de Fontès produit un très bon vin de cépages Syrah et Grenache : le "Château Mazers" (médaillé d'or en 2009) où la nature du sol n'est pas étrangère à la qualité.link
Une autre très bonne cuvée est celle du "Latude". Mazers et Latude sont les noms de famille des propriétaires du XVIIIès. (les seigneurs de Vissec de Latude) A déguster avec modération
Ce village possède aussi une splendide église du XIIIès inscrite à l'inventaire des monuments historiques. Voir le site de la mairie link
merci à Ramon Capdevila (géologue) pour ses explications, à Jean-Louis Bessière qui a publié "les mystères de Latude" et à Mr Burgos de Fontès.
les photos : mc matray